Combattre les fakes news. Le référé de l'article L. 163-2 du Code électoral et la liberté d'expression
Alexandre Palanco a publié à la Revue de droit public (n°3, 2019, p.637) un article intitulé Combattre les fake news. Le référé de l’article L.163-2 du Code électoral et la liberté d’expression.
Résumé :
Si l’utilisation du mensonge en politique n’est pas nouvelle, l’ampleur du phénomène semble quant à elle tout à fait inédite. Ce fléau porte un nom : les « fake news », littéralement « informations contrefaites » ou « trompeuses ». La révolution numérique et le développement du « web 2.0 » ont en effet créé les conditions propices à une diffusion exponentielle des fausses informations destinées à manipuler l’opinion publique. La campagne sur le maintien du Royaume-Uni dans l’Union européenne a constitué un véritable basculement, les fausses informations étant répandues sur les réseaux sociaux mais aussi par les hommes et femmes politiques. Les élections présidentielles américaine, française et brésilienne ont confirmé l’importance de la bataille contre les fausses informations et leur influence potentielle.
Le législateur français a choisi de s’emparer de la question par l’adoption d’une loi visant à endiguer activement la diffusion des fausses informations. Plusieurs catégories de mesures ont ainsi été adoptées dans le cadre de la loi n° 2018-1202 du 22 décembre 2018 relative à la lutte contre la manipulation de l’information. Parmi elles, une nouvelle procédure de référé permettant à toute personne intéressée de demander au juge de faire cesser la diffusion d’une fausse information. Le nouvel article L.163-2 du Code électoral témoigne de la volonté du législateur d’encadrer une intervention judiciaire potentiellement attentatoire à la liberté d’expression. Toutefois, la disposition semble soulever beaucoup plus de questions qu’elle n’apporte de réponse. Elle continue de faire l’objet de critiques nombreuses, la plupart se fondant sur la même idée directrice : le nouveau référé serait non seulement inutile, mais également dangereux. Inutile en raison de l’arsenal législatif déjà à disposition des pouvoirs publics pour sanctionner la diffusion d’une « fausse nouvelle ». Dangereux dans la mesure où la détermination par les pouvoirs publics de ce qui est « vrai » ou de ce qui est « faux » attise la crainte d’une censure disproportionnée à l’objectif poursuivi, particulièrement dans le contexte électoral.
Face à la dangerosité potentielle de la nouvelle procédure pour les droits fondamentaux, le Conseil constitutionnel a rapidement été saisi. Dans sa décision n°2018-773 DC, il procède de façon classique au contrôle de la proportionnalité de la disposition. Outre le caractère lapidaire de sa motivation, le contrôle du Conseil évite de se prononcer sur la compatibilité même de la suppression d’un contenu considéré comme « faux » avec la liberté d’expression et de communication. Cette compatibilité semble être considérée comme acquise, seules les conditions de la mise en œuvre de la procédure étant examinées au titre de la conciliation. Ces conditions, notamment la fausseté de l’information et le contexte électoral, soulèvent pourtant en elles-mêmes de nombreuses interrogations et sont susceptibles d’emporter, en fonction des circonstances, des violations de l’article 10 de la Convention EDH. Plus fondamentalement, la volonté de faire disparaître certaines informations par la voie judiciaire s’avère en réalité contre-productive et porteuse d’une conception bien fade de la démocratie. Une valorisation du droit des citoyens de recevoir les informations, mais surtout de les comprendre, aurait sans doute était plus bénéfique. Cette voie, choisie par d’autres Etats et par la Commission européenne, fait également partie des axes poursuivis par le législateur français et semble plus respectueuse de la liberté d’expression : éducation aux médias, transparence des services de communication en ligne, développement d’outils indépendants permettant de confronter les informations…